Même si Claude Terrail est décédé le 1er juin 2006, son influence sur la haute cuisine parisienne est toujours bien vivante. Âgé de 88 ans, il incarnait un art de vivre, une élégance exigeante et un souci du détail inégalé. Il était bien plus qu’un simple restaurateur. Il a grandi bercé par les odeurs de sauces réduites et le son des verres en cristal, imprégné d’un héritage culinaire transmis avec une fidélité quasi religieuse. Il est né au quatrième étage de ce célèbre immeuble, en plein cœur de la Tour d’Argent.

Claude rêvait d’enfance de devenir acteur. Cependant, la guerre, les obligations familiales et une cave à vin réputée le rattachent rapidement aux cuisines et salons confortables de la maison paternelle. Il reçoit une autorisation spéciale de revenir de Lyon pour sauvegarder les trésors œnologiques de la famille en 1940, alors que Paris est sur le point d’être envahie par l’Occupation. Il préserve ainsi un aspect précieux de l’identité française en dissimulant les grands crus derrière un mur de briques. Son attachement à son héritage transparaît dans ce choix audacieux et calculé.
Élément | Information |
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Nom complet | Claude Terrail |
Date de naissance | 4 décembre 1917 |
Lieu de naissance | Paris, au quatrième étage de La Tour d’Argent |
Nationalité | Française |
Date de décès | 1er juin 2006 |
Âge au moment du décès | 88 ans |
Métier | Restaurateur |
Établissement emblématique | La Tour d’Argent, Paris |
Récompenses militaires | Croix de Guerre, Croix de la Valeur Militaire, Presidential Unit Citation |
Mariages | Barbara Warner (divorce), Tarja Terrail |
Enfants | André Terrail (fils), une fille (mariage précédent) |
Détail marquant | A sauvé les meilleurs crus de la cave durant l’Occupation allemande |
Lien officiel | www.tourdargent.com |
Il fit preuve d’une créativité particulière dans la gestion de la réputation du restaurant et utilisa ses relations à Hollywood pour attirer des célébrités. Il consolida cette réputation grâce à son mariage avec Barbara Warner, la fille de l’un des fondateurs des studios Warner Brothers. La Tour d’Argent devint alors un lieu incontournable pour les célébrités ; le prince Philip, John Wayne, Ava Gardner et Marilyn Monroe y mangèrent tous. Mais lorsqu’il s’agissait de ses relations, Terrail était toujours étonnamment discret. Sur un ton léger, il disait : « Le vrai gentleman ne parle jamais de ses conquêtes.»
Ce sentiment de rituel atteignait son paroxysme chaque soir à 21 h 15. Il commença à faire le tour des tables à cette heure précise, estimant que même les clients les plus exigeants étaient trop préoccupés par leur nourriture pour se plaindre. C’était sa méthode extraordinaire pour maintenir la paix sans jamais déranger personne.
Son attachement aux traditions fut salué comme critiqué. En 1995, La Tour d’Argent fut rétrogradée après plus de 50 ans de maintien de ses trois étoiles Michelin. Quelques mois seulement avant sa disparition en 2006, la deuxième étoile s’éteignit. Les inspecteurs du guide pointèrent du doigt un manque de renouvellement. Terrail, quant à lui, était fermement convaincu que « la perte d’étoiles n’avait jamais vidé une seule table » et affirmait son attachement aux idéaux du passé.
Le canard au sang, sa spécialité, était méticuleusement numéroté et inscrit dans un registre de la maison. Un certificat portant le numéro précis du canard était remis à chaque client. Un concept merveilleux, à la fois théâtral et incroyablement respectueux du produit. En 1890, le canard n° 328 fut dégusté par le futur Édouard VII, prince de Galles. Près de 60 ans plus tard, Franklin D. Roosevelt savoura le n° 112 151. Chaque dîner revêtait une solennité unique grâce à ce genre de détail, savamment mis en scène.
Auteur prolifique, Terrail était d’une clarté exceptionnelle, tant dans sa gestion que dans ses discours. Auteur de nombreux ouvrages sur sa vie, la gastronomie et l’art de la table, il jouait au polo, pratiquait la voile, détestait les vacances et ignorait poliment les lois sociales françaises qu’il jugeait restrictives. Le travail était pour lui une obligation quotidienne, un luxe et une passion.
Il s’engagea dans la 2e division blindée du général Leclerc pendant la Seconde Guerre mondiale. Il reçut de nombreuses distinctions pour son service militaire. En 1947, il retourna à la vie civile et perpétua la tradition familiale, respectant scrupuleusement les coutumes instaurées par son père, André Terrail. Après avoir acquis La Tour d’Argent en 1912, ce dernier fit de l’établissement une référence européenne.
Au fil du temps, Claude Terrail devint un monument vivant, toujours vénéré malgré les critiques occasionnelles. Il incarna les traditionalistes qui résistaient aux modes et aux facilités. Il opta pour la stabilité dans un secteur où le changement est souvent perçu comme une nécessité absolue. Cependant, une transition délicate s’est amorcée en 2003 lorsque son fils André, beaucoup plus réceptif aux tendances modernes, a pris la direction.
La Tour d’Argent était également un outil diplomatique officieux, particulièrement utile pour l’image de Paris. C’était un lieu d’élégance subtile où de nombreux chefs d’État, ambassadeurs et ministres des Affaires étrangères étaient accueillis. Claude Terrail maîtrisait déjà ces codes sans jamais les revendiquer, à l’heure où la gastronomie évolue lentement vers un outil de soft power.
Le décès de Claude Terrail a laissé un vide. Cependant, il a également révélé un paradoxe poignant : un état d’esprit obsédé par la tradition peut-il perdurer dans un domaine en constante évolution ?